Chase - New name, old face

Nouvelle lune : La nuit était calme. Presque trop. Alors que Chase se penchait sur le bastingage, regardant la silhouette brumeuse et floue de Chicago s’élever, noyée dans ses lumières éblouissant les amas de brouillard qui s’étaient abattus depuis le lac, il ne put s’empêcher d’éprouver une certaine appréhension. C’était similaire à sa première arrivée à Ilvermorny. Les toits en pointes, la bâtisse érigée entre la forêt de sapins et autres feuillus, la sensation de débuter une nouvelle vie, aussi. C’était un renouveau, la fin d’une enfance, le début d’une vie d’études. Il n’avait pas su à quel point à l’époque. Difficile à croire pour le jeune garçon, héritier d’une vie très aisée nouvellement acquise par son paternel ambitieux, qu’il allait désirer consacrer sa vie à des études et aux sciences humaines. Mais ce qu’il savait, bien au-delà de ses croyances, était que son retour à la normale était impossible. Son arrivée à Ilvermorny, tout comme celle qu’il vivait à présent en revenant en ses terres à Chicago, étaient le sceau sur un chapitre de sa vie. Il ne revenait pas en tant qu’Almarik Fulton. Ce jeune chercheur, promis à devenir un jour professeur, était mort dans les forêts du Grand Nord un soir de pleine lune, en compagnie de la pauvre âme qui avait choisit de le suivre. En revenait moins qu’un homme, plus qu’une bête féroce. Son retour alors que la Lune était absente de la voute céleste, se faisait alors que la bête était assoupie au plus profond de lui. Cependant il pouvait la sentir. Et Chase savait qu’elle ne partirait jamais.

Malgré ce conflit en lui, cette appréhension, il éprouvait également un certain soulagement. Après des années passées dans le Grand Nord, il revenait dans ses terres. Chicago était là où son cœur résidait. Où celle à qui il l’avait promis également. C’était la ville de son enfance, la ville où il avait passé le plus clair de son temps lorsqu’il n’était pas absorbé par ses études académiques. Principalement dans les quartiers huppés, dans les demeures d’amis et d’amies, passant des soirées heureuses et chaleureuses. Sur le pont du ferry qui l’amenait depuis le Canada, il n’éprouvait que peu de chaleur. Il s’y était habitué, cependant.
Autour de lui discutaient d’autres passagers, échangeant des bribes de paroles qu’il saisissait au vol. La situation à Chicago, aux États-Unis même, avait profondément changé, semblait-il. La Prohibition frappait les non-majs, leur empêchant d’accéder à la moindre boisson alcoolisée. Quant aux sorciers, il se divisaient plus encore à propos de la fine frontière qui existait entre leur monde secret et celui de leurs homologues inconscients d’être la cible de fructueuses affaires. Chase comprenait que la situation actuelle, ses enjeux, étaient de force à mettre la société sorcière sur le rebord du précipice, à contempler l’abime et l’autre rive. Traverser était la spécialité de certains et certaines. Il redoutait à quel point cela avait pu ébranler les convictions dans la loi Rappaport.

Quoi qu’il en soit, il allait être difficile pour Chase de montrer ses papiers d’identité. Il avait prévu, d’ailleurs, de ne pas participer au débarquement. Dès qu’il serait assez proche et aurait un champ de vision assez large, il transplanerai sur les docks, outrepassant la douane et autres formalités administratives. Il allait devoir vivre comme un non-maj pendant quelques temps, jusqu’à pouvoir se forger une nouvelle identité. Après quoi, il disparaîtrait


Lune gibbeuse : L’arrivée à Chicago s’était faite dans une relative tranquillité. Bien sûr, c’était à relativiser à l’échelle d’une ville en pleine ébullition, où les alcools illégaux et sorts semblaient s’échanger avec une certaine régularité à présent. Cela faisait quelques semaines depuis son arrivée. Il avait pu trouver un logement, un boui-boui qu’il payait à la semaine. C’était spartiate. Les murs étaient gris, usés alors même qu’ils semblaient ne pas avoir plus d’une dizaine d’années. Sa demeure ne faisait qu’une dizaine de mètres carrés. Il avait un lit en fer, un matelas qui avait accueilli nombre de dos au fil des années et c’était à peu près tout. Mais il ne cherchait pas à s’établir ici, pas plus qu’il n’avait envie d’appeler ce logement sa maison. Le but était d’acheter des faux papiers, ses nouveaux papiers. Un nouveau permis pour sa baguette, aussi. Ou, à la réflexion, peut-être une nouvelle baguette. La sienne, incrustée de nacre, était un souvenir irisé de son passé qui éveillerai les soupçons à l’occasion. Il ne voulait pas s’en débarrasser. Jamais. Mais c’était un élément de son passé qui risquait de le trahir. Mais ce n’était pas le pire qui puisse lui arriver.

Le pire, c’était ce qui venait de se produire. Alors que Chase se dirigeait vers l’établissement d’un éventuel employeur, qui pourrait payer pour son maigre loyer et son remboursement de dette, au détour d’une rue, en face, il aperçu une figure familière. Il la reconnût presque en un instant, et tournât les talons. Chase dû se retenir de ne pas transplaner en plein centre-ville, en plein jour. Il voulait à tout prix partir, éviter d’être reconnu. Mais il désirait aussi la regarder. Alors qu’elle le dépassait sans lui accorder un regard, il osât jeter un regard à cette femme qui avait été sa fiancée.
Sa robe bleu clair était comme le ciel dégagé de ses nuages et illuminé par le soleil. Son visage était tout aussi clair. Elle n’était plus aussi jeune que dans ses souvenirs, ses traits semblaient plus tirés, plus mûrs. Mais il la reconnaissait et la reconnaîtrait comme s’ils étaient dit aurevoir la veille, sur le quai de la gare. Almarik était allé au Grand Nord, elle était restée à la ville pour l’été. Même sur le quai de la gare, elle avait adressé un reproche, d’avoir organisé une telle expédition après s’être fiancés. Et elle avait eu raison, finalement.

Elle s’éloigna d’un pas assuré, et le sorcier furtif reprit sa marche, d’un pas plus lourd qu’il ne l’était un instant auparavant. Le poids de la tristesse s’était abattu sur ses épaules avec violence, et il avait dû refaire face à ses choix. Il ne devait pas aller la revoir. Elle ne méritait pas d’avoir sa vie, son deuil qu’elle avait dû porter, ses nouvelles ambitions voler en éclat avec le retour d’un fiancé moins humain que mort. C’était le meilleur qu’il puisse lui offrir. Il en était sûr, même si cette conviction s’était imprimée dans son cœur comme un fer porté au rouge dans la neige. Il regretta pendant un instant de s’être rasé. Il était reconnaissable, à présent. Ou peut-être qu’il ne l’était plus, et c’était peut-être là que résidait sa tristesse. Quoi qu’il en soit, il se devait de rester en dehors de son chemin. La journée et ses pavés étincelants lui étaient réservés. Il privilégierait le crépuscule et les bas-fonds de la société, pour l’instant au moins.



Pleine lune : Le verre tomba comme au ralenti, et son explosion au sol sorti Chase du songe avec la force d’une gifle. Il aurait pu empêcher la chute. Il l’avait senti glisser entre ses doigts à présent polis par les heures de travail et par la nuit à laquelle il avait enchainé la nuit précédente. Cela en disait long sur son rythme de vie et sur ses cycles. Habitué depuis les quelques dernières années au travail manuel, davantage en extérieur qu’en intérieur, la différence entre les forêts canadiennes et un speakeasy à vendre de la contrebande était saisissante. L’ambiance était feutrée, et quelque peu moins festive qu’hier, tant et si bien que le bruit des bris emplit l’espace du bar clandestin. Quelques clients, passablement enivrés, applaudirent dans le fond, tandis que d’autres ne réagirent même pas. Pendant quelques secondes encore, Chase resta pensif, immobile, avant de se pencher dans un soupir mécanique. Il était fatigué, et énervé. L’approche de la pleine lune faisait ce genre d’effet. Sa malédiction n’était pas seulement de se transformer en une bête assoiffée de sang humain une fois par cycle lunaire. Elle consistait également à le pousser dans une spirale destructrice, où briser et casser semblait être la seule ressource à même d’étancher sa soif de destruction. C’était un effet secondaire de sa malédiction. Il en avait lu des bribes, avant de l’expérimenter. Et il savait qu’elle allait le pousser dans ses retranchements. Mais, pour ne rien arranger, son manager arriva à ses côtés.

« - Steelgrave, fait attention un peu ! C’est le deuxième verre ce soir que tu nous brises, et ça commence à faire désordre. Si tu es fatigué après le travail, tu n’as qu’à rentrer chez toi et dormir, au lieu d’aller visiter un bordel ! »

Chase se mordit la langue plutôt que de répondre à son instinct et de rétorquer quelque chose de cinglant. Il avait besoin de ce travail au Basilic Borgne. Ce speakeasy était à la limite entre les deux mondes, là où ses proches et ceux qui avaient pu jamais le connaître dans le monde d’avant n’irait jamais mettre les pieds. Et il était quand même payé en dragots sonnants et trébuchants, à même de payer suffisamment par avance les papiers dont il avait besoin pour enterrer définitivement sa vie de Fulton. Il devait faire profil bas. Aussi acquiessat-il, jetant les morceaux de verre les plus importants dans la poubelle, avant de se saisir d’un chiffon pour attraper les autres et s’assurer que l’arrière-bar soit propre. Cela aurait pu être réglé en l’espace d’un instant à coup de baguette. Mais il ne pouvait sortir une baguette à la valeur équivalente à la moitié du mobilier de l’établissement sans éveiller de soupçon. Il était même sûr que son employeur le prenait pour un cracmol. Cependant, il semblait n’en avoir que faire, ce qui arrangeait Chase au plus haut point.

Se relevant, il répondit avec un sourire à un client émêché qui levait son verre vide. Se saisissant d’un verre qu’il venait de sécher, il entreprit de verser une nouvelle bière à l’intérieur de celui-ci. Il ignorait jusqu’à quand il devrait continuer ses efforts. Il savait qu’il tiendrait, mais quoi qu’il en soit, ce soir, alors que la pleine lune n’était qu’à quelques jours delà, il ne rêvait que de mettre cette pinte dans la trogne d’un client et de déclencher la plus mémorable bagarre de bar, à même de ruiner l’établissement. Au lieu de cela, il se contentât de poser le verre dans un plateau, et de le soulever pour l’apporter à cet énième client de la soirée.