Original family disappointment (Erminio)

1896 Naissance d'Erminio, premier et dernier enfant du couple Altobelli.
1905/1915 Etudes à Ilvermony, parmi les Puckwoodgenie. A ses quatorze ans, il se spécialise en Justice sorcière.
1915 Fraîchement diplômé, il entame des études de droit en vue de devenir Avocat.
1919 Fiançailles avec Vittoria Zambeletti, jeune femme de bonne famille choisie par ses parents.


Erminio contempla sa valise, pensif. A l'intérieur, vingt-trois ans de vie réunis. Sans compter tous les souvenirs auquel il était attaché, et qu'il n'avait pas pu prendre avec lui (il soupçonnait son père de les avoir brûlés). Le womatou en peluche, auquel il se cramponnait lorsqu'il était bébé, s'imaginant qu'il le protégerait contre les fantômes dissimulés dans la pénombre. Le mouchoir en soie, d'une douceur exquise, que sa mère lui avait confié lorsqu'il était enfant et qu'il aimait humer pour se rassurer — empli de son parfum maternel, rassurant. Tous les vêtements qui avaient accompagné son enfance et son adolescence et qu'il aurait aimé plus colorés, plus flamboyants, comme les robes suspendues dans le placard maternel et qui l'émerveillaient lorsqu'il n'était pas plus haut qu'un gnome — mais il devait se contenter de costume plus simples, d'une élégante sobriété. Son uniforme d'Ilvermony, bleu et rouge ; la broche rose des Puckwoodgenies. Le souvenir de cet époque lui arracha un mince sourire.

Du temps de sa scolarité, il avait été un bon élève, sans pour autant faire partie de l'élite. Un bon élément, travailleur et curieux, loin des génies et des cancres. Discret, sauf lorsqu'il lui prenait l'envie de jouer les chevaliers servants (ses élans de courage se fracassaient bien vite et il finissait souvent par s'enfuir, tel un chat face à des épluchures de citron). Indigné face aux injustices mais pas assez courageux pour élever la voix plus de deux secondes d'affilée.

Il promena la main au milieu du fatras de sa valise, reconnaissant des formes, des textures. Pour son déménagement, sa mère lui avait offert de nombreux objets de décoration, tous plus raffinés les uns que les autres. Un bouquet de plumes dans un vase de cristal, des bougies dorées, des photographies ensorcelées. Elle lui avait aussi confié des bijoux, des perles qui, en l'absence de soeur, lui revenaient. (Pour Vittoria, mais il en saisissait toute la beauté.) A côté de ces précieux présents, sa main se heurta à des grimoires, remplis d'une petite écriture austère et serrée.

Ses traités de droit. Il aurait pu les haïr, lui qui n'avait jamais caressé le rêve de devenir avocat ; et pourtant, au fil des ans, il avait appris à les aimer, à se surprendre à rêver de justice, lui aussi. De la justice... ce mot avait-il la moindre signification pour le monde qui l'entourait ? Pour sa famille ? Pour lui-même, qui n'avait rejoint la profession que sous couverture, pour le gang qu'il avait rejoint à contrecœur, la mort dans l'âme à l'idée de participer à ces manigances - et pourtant, incapable de s'y refuser ?

Il abandonna sa valise, se laissa tomber sur le lit king size et fixa le plafond, qu'il se plaisait à imaginer constellé d'étoiles enchantées. Il était enfin libre. Loin de sa famille. Loin de son père. Pourtant, dans ce nouvel appartement du quartier ouest de Chicago, il ne sentait aucune différence. Aucun nouvel élan en lui. Peut-être que la présence de sa fiancée changerait la donne, mais en attendant... il soupira et se redressa.

Il n'était pas venu jusque là pour se lamenter, mais pour s'installer dans l'appartement qui serait bientôt le sien et celui de sa future épouse. Il traversa la chambre, la salle de bain, la cuisine, le salon. (Il faudrait presque transplaner pour aller d'une pièce à l'autre.) Il rejoignit le balcon et s'appuya contre la rambarde, solidement enfoncée au sol, avant de contempler le paysage qui se déployait devant lui. Chicago et ses secrets, Chicago et ses gangs, Chicago et ses promesses, Chicago et ses désillusions... Il se pencha encore un peu, se laissant gagner par le vertige. Ses yeux se posèrent sur la chaussée et sur les sorciers qui s'y pressaient, et un frisson dévala sa colonne vertébrale.

Lorsqu'il était enfant, il ne s'approchait jamais des fenêtres, ayant trop peur d'y basculer. Il avait également peur du noir, des fantômes et des monstres qu'il s'imaginait tapis sous son lit. Des peurs qui le faisaient pleurer la nuit, sans que personne ne vienne jamais le rassurer...

Il s'écarta brusquement de la rambarde et regagna la chaleur rassurante de l'appartement. Il se réfugia dans la cuisine, déjà meublée et remplie de denrées magiquement conservées. Ses doigts trouvèrent le goulot du bouteille, dont il ingurgita une longue gorgée, avant de la reposer, presque catastrophé. Nom d'un Botruc, il se comportait comme un idiot (et un alcoolique, défaut dont il s'espérait dépourvu, peu désireux de ressembler à l'un de ces hommes au nez rouge et à l'égo ruiné, qu'il voyait grouiller dans l'ombre de ses cauchemars.) Il grimaça et retourna dans sa — leur — chambre, où l'attendait toujours sa valise, grande ouverte. Sa baguette trônait au sommet de ses affaires. Il s’en empara et commença à ranger ses affaires, verrouillant ses pensées.