Some like it hot, most serv it cold (Sybil)

Ce n’était pas dans les habitudes de Chase de faire le marché. Après tout, il avait amplement de quoi manger chez lui, et il évitait de se mêler à la foule autant que possible. Mais il était en charge de faire les courses pour son patron, car le garçon de course s’était porté pâle aujourd’hui et il fallait des extraits de gloussements. Purs. Bien sûr, ça aurait énormément plus simple d’aller se fournir auprès de vrais sorciers, et d’avoir de l’eau glouglousse toute prête. La Pinnock était même une référence en la matière, d’ailleurs. Mais comme on disait au Basilic Aveugle, depuis que les affaires avaient commencé à décoller avec la Prohibition non-maj… l’avarice commence où la pauvreté cesse. Et évidemment c’était également une très bonne manière de brouiller les pistes. Des extraits dans une besace prenait bien moins de place que 5 caisses estampillées Pinnock qui seraient livrées en catimini. Ou par de coûteux sorciers ou sorcières qui s’étaient spécialisés dans la passe et la contrebande. Bref, ce qui coûtait cher à se procurer, il était bien plus aisé de se le distiller. Et fort heureusement, il était dans le bar une arrière-salle où un employé avec un cursus un peu poussé en potions, dans son pays d’origine, laissait libre court à ses idées. On ne mourrait pas de soif ni de morosité au Basilic Borgne.

Alors que Chase déambulait dans le marché en pleine rue, allant et venant devant certaines échoppes afin de distinguer celles bénéficiant d’un enchantement qui rendait certains étals invisibles à tout non-majs, et même aux sorciers qui n’y accordaient pas suffisamment d’attention. Alors qu’il reculait, il heurtât une femme qui vaquait à ses courses derrière-lui.

« - Dites, vous pourriez faire attention ! Dégagez de là si vous êtes rond comme une queue de pelle ! »
« - Pardon, je pensais avoir vu quelque chose… »

Alors que la matrone s’éloignait en faisant mine de ne pas avoir entendu ses excuses, Chase soupira. Il lui était difficile de décrire son ressenti face à ce qui était une foule oppressante, alors qu’il avait passé tant de temps dans de toutes petites communautés grégaires, où il était plus probable de heurter un arbre qu’un individu même au cœur-même de rassemblements.
Après quelques déambulations, il arriva à apercevoir une échoppe plutôt spacieuse, la rendant ridiculement vide de monde alors que les non-majs faisaient systématiquement un pas de côté pour ne pas passer devant sans même s’en rendre compte. Il y avait une paire de sorciers regardant les marchandises, majoritairement des herbes, des racines, quelques légumineuses et une partie de l’étal semblait consacré à quelques caisses de bois pâle percées de trou. Hélant le marchand du regard, celui-ci se dirigeât vers lui, les bras croisés sur un tablier sale et troué par des brûlures.

« - Bonjour… est-ce que vous avez des extraits de gloussements frais ? »
« - Des extraits ? Non, pas ici. Si vous voulez faire l’extraction, ça sera de votre côté, moi j’ai pas votre temps. Par contre, je peux vous en mettre pour quatre livres. Bien extraits, j’imagine que ça vous en fera pour une once pure, soit deux pintes si vous le diluez correctement pour avoir l’extrait à la bonne densité. »
« - Euh… d’accord, j’ai 25 dragots, ça fera l’affaire pour combien ? »
Le marchant soupira, ôtant sa fine casquette gavroche pour la jeter vers les caisses, avant de se passer la main dans ses quelques cheveux survivants.
« - Un garçon de course ? Vous faites vieux pour ce genre de service. Je vais faire la pesée et je vous donnerai bien ce que ça vaut. »

Se retournant, il allât chercher une sorte de pelle de prélèvement en argent, passablement inconscient que la casquette qu’il avait envoyé valser vers les caisses trouées semblait saisie depuis un des trous, et que de la fumée s’en dégageait. Chase vit la fumée assez vite, mais ne put atteindre l’attention du sorcier concentré dans sa mesure.

« - Et voilà, ça vous en fera pour votre argent. »
« - Merci beaucoup, mais euh… je crois que les créatures de votre caisse sont entrain de manger votre casquette. »
« - Hein ? Mais nom de… lâchez-ça foutues bestioles, je vous ai déjà nourries il y a une demi-heure ! »

Se précipitant, il tira promptement sur sa casquette avec force. Celle-ci, plutôt que de se déchirer, semblât tirer de force la créature contenue à l’intérieure de la caisse, qui se révéla être un nœud de Serpencendres, dont certains se délièrent pour retomber sur l’étal, et commencer à chercher de nouvelles zones de chaleur. L’un d’eux sembla comme bondir à travers la ruelle, atterrissant pratiquement dans l’étal d’en face, à la grande surprise et panique des non-majs qui regardaient pour acheter des marrons grillés.

« - Euh… je pense qu’il est temps que je m’en aille, je vous laisse euh… gérer tout ça. »
Chase déposât en catastrophe les 25 dragots là où se trouvait le paquet scellé de gloussements, et entreprit de décamper au plus vite, s’essayant de se fondre dans une foule de non-majs paniqués et criants au serpent fou.

Faisant virevolter sa baguette, la sorcière laisse ses yeux clos pour imaginer, comme à son habitude, son prochain projet. Elle n'avait jamais réellement de mal à trouver l'inspiration mais l'atelier était particulièrement bruyant ce matin, si bien qu'elle n'arrivait pas à se concentrer comme elle l'aurait espéré. Elle soupira, ouvrant ses paupières pour fixer les employés qui s'affairaient à ranger l'endroit qui ressemblait davantage à un champ de bataille depuis quelques jours. Ses ongles claquèrent bruyamment sur la table qui se trouvait devant elle puis elle se leva d'un bond. « Un Occamy bien sûr ! » elle s'exclama. Tous s'arrêtèrent pour la fixer plus attentivement. « Pardon Mademoiselle ? » demanda Thomas, un brave garçon qu'elle appréciait et auquel elle offrit son plus beau sourire. « C'est ainsi que je vois la robe, Thomas. L'Occamy est une créature somptueuse et je souhaitais m'en inspirer pour notre projet ». Pour appuyer ses propos, elle prononça la formule, agita la baguette et la feuille de papier traversa la pièce jusqu'à elle. Elle se mit à dessiner durant dix bonnes minutes, sans qu'aucune personne n'ouvre la bouche, attendant le résultat. Lorsque Sybil Sternberg avait une idée, il fallait qu'elle aille jusqu'au bout. « Tenez ! Venez voir » invita-t-elle ses employés, qui se placèrent tout autour d'elle pour admirer le croquis. Quelques murmures dans la petite assemblée et il n'en fallut pas plus pour redonner le moral aux troupes. Parfois, il suffisait de peu pour repartir de plus belle. Sybil y réfléchissait depuis des jours et voyait le rêve de la veille comme un signe. S'il y a bien quelque chose qu'elle écoutait, c'était bien ça. Soudain, les questions fusèrent et tout en attrapant son manteau, la sorcière haussa les épaules, tout sourire. « Chaque chose en son temps. Pour l'heure, je m'en vais au marché ». Thomas pris sa veste à son tour mais Sybil le coupa immédiatement dans son élan. « Pas la peine, je peux m'y rendre seule » assura-t-elle. Il est vrai qu'elle n'avait besoin de personne dans ce qu'elle entreprenait. Sous ses apparences frêles, elle était pourtant une femme de caractère qui n'aspirait qu'à l'indépendance.

Le froid la saisit lorsqu'elle ouvrit la porte. Le mois de mars n'avait jamais été son préféré, elle qui adorait davantage les couleurs et l'ambiance de l'automne. Mais avec lui, viendrait très bientôt le printemps et elle avait hâte de troquer ses manteaux contre des vestes plus élégantes. Elle marcha en silence jusqu'au marché, qui était déjà bien rempli. Elle aimait le bruit et la vie de cette rue et elle imaginait parfois ce qu'aurait été son existence si elle n'avait pas été une Sternberg. Elle rêvait de simplicité, même si elle adorait son métier et le marché lui donnait parfois cette sensation de pouvoir se fondre dans la masse quelques heures. Elle n'était plus qu'une cliente, à la recherche des meilleures affaires et c'est tout ce qui comptait pour le moment. Marchant d'un pas décidé, elle trouva enfin l'étal qu'elle était venue chercher. Posant ses yeux sur le stand, elle admira les matières disposées sur les tables. « Vous cherchez quelque chose ? » lui demanda alors la vendeuse. « Tout à fait. Je cherche des écailles et plumes d'Occamy » demanda-t-elle. « En assez grande quantité s'il-vous-plaît. C'est pour un costume » précisa-t-elle. La vendeuse leva un doigt pour la faire attendre et Sybil en profita pour tourner sur elle-même, observant les alentours. Ce qui était avant tout fascinant, c'est que les univers magiques et non-maj se mélangeaient de manière absolument parfaite en ces lieux. Le stand à côté du sien vendait de simples marrons chauds sans qu'aucun non-maj ne cherche à comprendre ce qui se passait à quelques centimètres de là. « C'est bien ce que tu cherches ma jolie ? » elle se tourna vers la vendeuse et avança la tête vers la caisse qu'elle lui proposait alors. Fouillant parmi les petits sachets, elle eut un sourire ravi. « Exactement. Je vous prends l'intégralité » dit-elle. Et alors qu'elle s'apprêtait à tendre une petite bourse qui contenait une bonne vingtaine de pièces, des hurlements attirèrent son attention. Elle lâcha la caisse sous la surprise et un mouvement de foule l'obligea à faire quelques pas un peu plus loin. Elle heurta finalement quelqu'un et sous le choc, elle tomba au sol. Cela ne dura à peine plus de quelques secondes. Quelques secondes de trop tant le calme qui régnait auparavant n'était désormais plus qu'un chaos monumental. Elle ferma les yeux.

Elle sentit une main la relever brusquement et la protéger le temps de prendre une décision. « Vous n'avez rien ? » entendit-t-elle dans la cohue. Elle releva la tête vers celui qui venait très certainement de lui sauver la vie. Son souffle se coupa et son coeur se brisa lorsqu'elle reconnu les traits du garçon qui était parti il y a bien longtemps. Trop longtemps. Son fiancé. « Amalrik ? ». Et avec lui, les souvenirs lourds et amers. Plus amers encore que la douleur lancinante qui la plia en deux. « Ma cheville » dit-elle en serrant les dents. Il ne manquait plus que ça. Par Merlin elle ne méritait pas ça.